vendredi 25 mai 2012

@dem SeleKcheûne #33 – Eden Rose

 
 Lamentablement affalé sur un transat incliné à 45°, sous un parasol genre «on est sous les tropiques et kesskonslapète les mecs», ma main gauche tripote une coupe de Martini Vodka sans olive et le parasol coupe mes jambes à un endroit où la chaleur se fait nettement ressentir. Je laisse mon regard effectuer un lent traveling latéral sur la viande huileuse et fumante en train de rôtir consciencieusement autour de la piscine tout en me laissant bercer par la complainte obsédée des générations de vagues qui viennent successivement lécher la plage quelque part derrière moi.
Wayfarer astucieusement perchée sur le nez, je décortique tout ce qui bouge - du moins tout ce qui bouge et possède au moins deux seins. Assise sobrement au bord de l’eau, une fille genre danseuse du ventre mais blonde, se rafraîchit distraitement les melons, assez costauds il faut bien le constater, tout en saluant un fantôme de la main. Je plisse les yeux afin de mieux voir mais un gros allemand s’arrête devant elle et son dos est trop rouge. Je déplie les jambes et tente de me redresser quelque peu mais c’est difficile car d’une part une de mes mains s’accroche à son Martini Vodka sans olive comme si c’était une question de vie ou de mort et d’autre part je suis un peu bourré ; donc je dois renoncer au spectacle et autorise mon regard à picorer de-ci de-là parmi les chairs brûlantes.
Boum ! 1,63m. 19 ans et demi. Peut-être un petit peu moins. Ou alors un peu plus ? 85D moulé dans un top en lycra noir à bretelles qui laisse l’œil du ventre contempler le monde. Pour le bas, boxer barbouillé de motifs roses, noirs et d’un jaune indéfinissable. Peau de rousse. Lèvres puissantes, charnues et très rouges laissant à intervalles régulières éclater la bulle d’un chewing-gum goût menthe. Dents de la chance. Parfois, très blanches, elles mordillent la lèvre inférieure. Les yeux sont dissimulés derrière de grandes lunettes fumées Chanel et je sens qu’ils sont très beaux, félins. De minuscules tâches de rousseur parsèment ses pommettes et taquinent le petit nez qui se trouve au milieu. Elle est allongée en plein soleil sur un transat qui, à la différence du mien, est totalement horizontal et pourvu de coussins bordeaux à boutons. Une jambe est pliée et l’autre laisse déborder le pied, qui ne doit pas dépasser le 36, du matelas. Au bout se balance une claquette rose fuchsia trop grande. Un petit chat tigré dort à l’ombre sous la jambe pliée. Sa chevelure châtain virant à l’auburn est cerclée d’un casque audio-technica blanc et je me demande ce qu’elle peut bien écouter comme genre de musique.
Mon verre est vide et je songe tout à fait sérieusement à retourner au bar le remplir. Je me redresse en deux temps et cette fois y arrive, motivé sans doute par la promesse désaltérante d’une nouvelle coupe de Martini Vodka bien glacée mais sans olive. Pourtant j’adore les olives... mais pas dans le Martini Vodka. Debout je manque de me fracasser sur un dos vautré dans le transat de gauche mais l’évite juste à temps. Je reste immobile un moment, le temps de retrouver l’équilibre et de laisser passer une chute de tension qui fait scintiller de petits flashs entre mes yeux et les Wayfarer qui ne quitte jamais mon nez ; même la nuit. Surtout la nuit. Je contourne la piscine et ne vois pas le beau brun plonger dans les fascinants ronds concentriques turquoise pour la bonne et simple raison qu’il n’a pas au moins deux seins. J’arrive à proximité du transat de la fille et observe mon ombre grignoter ses pieds, remonter le long des jambes comme une caresse, conquérir le ventre ferme et profond et s’arrêter sur son impitoyable 85D. Je remarque que le pelvis est anormalement saillant.
Je profite un moment du spectacle puis tousse un bon coup car elle ne m’a pas encore capté – ses yeux sont fermés, ni entendu à cause de la musique qui pulse à fond dans ses oreilles.
Elle sursaute et ouvre les yeux.
- Heu… Bonjour… excusez-moi de vous déranger mais…
Elle grimace, soulève ses lunettes d’une main et de l’autre repousse le casque et j’entends grésiller la musique.
- Pardon…?
- Excusez-moi de vous déranger. Je me demandais ce que vous écoutez comme musique.
Elle hausse les épaules.
- Oh c’est juste un vieux truc français complètement inconnu des années 70… vous ne connaissez sûrement pas.
J’ai un sourire en coin et un haussement de sourcils.
- Dites toujours…
Elle hésite, se penche et tripote l’adorable pré-exterius de son pied gauche. Le chat se barre.
- C’est Eden Rose. J’ai trouvé ça dans la collection de disques de mes parents.
- Ah oui Eden Rose sur le label Katema tenu par un vendeur d’électroménager si je ne m’abuse…
Toujours debout entre elle et le soleil, je place mes mains sur les hanches.
- Un seul album – On The Way To Eden, enregistré en Mars 70 rue Washington à Paris.
Elle redresse la tête et me regarde, plisse les yeux à cause du contre-jour et sa lèvre inférieure pendouille lamentablement, ne sachant pas trop quoi répondre. Je poursuis.
- … C’est pas mal. Assez intemporel comme musique… surtout le son. Une sorte de rock psyché instrumental légèrement prog assez bien foutu avec Henri Garella à l’orgue Hammond et Jean-Pierre Alarcen à la guitare - des musiciens de studio qui ont notamment joué pour Cloclo ou Jacques Dutronc et qui formeront plus tard le mythique Sandrose avec la chanteuse Rose Podwojny… Bon matos…
Elle est complètement paf, se tenant toujours le pré-exterius des deux mains.
- … eh ben, vous en savez des choses…
Un temps qui me semble une éternité.
- Puis-je vous offrir un verre ?
- Oui pourquoi pas… Je boirais bien un Martini Vodka... Elle sourit en dressant l’index… avec olive.
Au loin un pylône solitaire m’ouvre grand ses bras…

mercredi 9 mai 2012

@dem SeleKcheûne #32 - Ma Banlieue Flasque





Une main me massant la nuque, les jambes écartées, confortablement installé dans ce qui me semble être le parfait milieu du canapé terracotta du salon, je suis bien décidé à ne jamais m’en extraire si ce n’est pour aller me chercher une autre bière dans le frigo qui ronronne quelque part dans la cuisine. Je suis légèrement anxieux mais n’en laisse rien paraître. Le chat le sait et me fixe depuis un moment du buffet en pin ciré; du moins tant que je ne l’observe pas. Je palpe nonchalamment ma cuisse gauche et la douceur aérée du ventilo caresse ma joue droite. Ma bière est vide. Les persiennes d’osier filtrent ce qui ressemble à une jolie journée du mois de Mai et par la fenêtre entrebâillée, maintenant que le disque de Ma Banlieue Flasque, cet obscur groupe français Zappaesquo Canterbury Zeuhlien est terminé, j’entends la rumeur du peuple qui rentre à la maison. 

Il est 18h27. Je me redresse en deux temps et sans vraiment le vouloir, jette un œil au travers de la seule fenêtre non obstruée par les persiennes. Je poursuis d’un regard froid et concentré le dos d’une jeune femme à l’élégance recherchée, brune, chignon ébouriffé, 1,68m, jupe anthracite à pois gris clairs s’arrêtant juste sous le genou. Sa démarche ondoie autour de l’axe du corps, chevilles honnêtes soutenues par de fines sandales à lanières et à talons. Probablement 85C. Je ne discerne pas la couleur de ses yeux mais suis certain qu’ils sont clairs. Lorsqu’elle croise un mâle, elle incline le visage vers la droite et, bien perché derrière ma fenêtre à persiennes, je lis dans les yeux de l’homme combien elle est canon. Sans raison elle bifurque, quitte le trottoir et elle va traverser mais non, elle frôle un cabriolet et balance son sac cuir naturel sur le siège passager et sans prêter attention à la voiture qui arrive très vite à rebours d’elle, elle ouvre grand la portière et s’engouffre. Un homme est au volant mais je n’en suis pas certain car d’autres véhicules sont stationnés devant et le soleil scintille sur les pare-brises mais ce n’est pas important. Ce qui est important, c’est que l’index et le majeur gauche à moitié posé sur le rebord intérieur de la fenêtre, je sois debout. Immobile mais debout. Je n’ai pas vu le cabriolet partir mais ce n’est pas important. Ce qui est important, c’est être debout me dis-je. Désespérément debout. Après avoir laissé un moment mon regard fureté dans la pinède qui ponctue l’urbanité sauvage de ce quartier et zigzagué sur les fenêtres de l’immeuble jaunasse, typiquement années 50 qui lui fait face, je m’arrête sur une grande blonde à la peau blanche, coupe courte, tailleur abricot et ne puis m’empêcher de penser à ces animaux que l’on rencontre parfois dans certaines prairies. Genre experte comptable ou secrétaire secrétant je ne sais que trop quoi. Elle pointe du 40. Je sais que si je continue à l’épier, c’est parce qu’elle s’est assise sur la marche de l’entrée d’un immeuble pour avaler un sandwich et que cette attitude contraste avec sa dignité de femme professionnelle et parce qu’aussi, et surtout, c’est la promesse, de part mon impeccable position sur mon impeccable perchoir, d’une vue imprenable sur une intimité qui me répugne grave tout autant qu’elle me fascine. Elle semble le sentir et arrange de sa main libre, la droite, son falbalas qui de toute façon ne laissait rien apercevoir étant donné que ses jambes sont repliées du mauvais côté… du moins pour ce qui me concerne. Mais je sais que ce n’est qu’une question de temps. Je le sens. C’est oracle. Et après avoir plusieurs fois douloureusement plié son menton afin de vérifier si son blanc chemisier ne laissait pas trop déborder son cœur et son sandwich sa sauce, elle pivote un bon coup du bassin et m’offre l’espace d’une seconde ce qu’elle s’évertue à cacher au monde depuis qu’elle à compris qu’elle ne ressemblera jamais à ces photos glacées qu’on lui met sous les yeux depuis le premier éveil de sa conscience, c'est-à-dire fort récemment. C’est blanc, c’est triste, c’est caché et c’est tant mieux. Je la quitte un instant des yeux car est entrée dans mon champ oculaire une jolie soubrette polo blanc, pantalon bleu serré aux cuisses mais progressivement évasé à partir du milieu de celles-ci, non pat’ d’eph cependant…

Un bruit venant du fond de l’appartement détourne mon attention. Un bruit de grattement sourd et angoissé. Je me demande s’il est récent ou si je l’entends sans l’entendre depuis un moment. Avant d’aller me faire une idée plus précise de son origine, je plonge encore un regard dans la rue mais tout le monde à disparu. Le vent joue avec quelques vieux papiers et sacs en plastique. Je trouve curieux qu’en un si petit laps de temps la fille au sandwich ait pu se redresser, réajuster sa sacoche et marcher les 20 pas indispensables pour qu’elle disparaisse de ma vue. Au bout d’un instant je me dis qu’elle s’est peut-être engouffrée dans l’immeuble devant lequel elle était assise et face à la forte probabilité de cette hypothèse, me résigne à l’adopter. Cependant je ne puis m’empêcher de me demander si je l’ai bien vue, elle et toutes les autres. Un nouveau grattement, plus net cette fois, vient me sortir de ce grave questionnement et j’entends mon cœur battre un peu plus vite dans ma poitrine. 
Il est 18h43. Je me dirige vers la porte du salon et sans m’arrêter je remarque que le livre de Paul Diel est ouvert à revers sur le bord du canapé terracotta. Le chat, du haut du buffet, me toise toujours avec d’énormes yeux et comme, tout en marchant vers la porte, je soutiens son regard, il finit par le plisser hypocritement alors qu’un nouveau grattement se fait entendre. En passant le sas, je me souviens de ma bière vide et me dis que tout en allant me rendre compte de l’origine de cet insupportable son, je pourrais faire un détour par la cuisine et la remplacer.
- Quel sens pratique tout de même! Dis-je tout haut et je suis surpris par le timbre de ma voix. Cette voix n’est pas la mienne ai-je l’impression et après une brève hésitation je répète :
- Quel homme pratique tout de même! Un peu plus haut mais je ne la reconnais toujours pas et me dis que sans doute est-ce dû à l’écho du couloir et face à la forte probabilité de cette hypothèse, me résigne à l’adopter non sans me demander si j’avais déjà réellement entendu ma voix. Une fois passé le coin du couloir en L, se dessine tout au bout la porte entrouverte de la chambre de Léa et la lumière qui s’en dégage en contre-jour m’empêche de clairement distinguer ce qui s’y passe et à l’instant précis où je me frotte les yeux un nouveau grattement, plus long, se fait entendre et je sais qu’il vient de cette chambre. J’attends ce qui me semble 30 secondes, peut-être une minute et durant ce cout intervalle, uniquement le battement de mon cœur dans ma poitrine j’entends. Enfin je décide d’avancer en glissant doucement sur le frais granito moucheté et, arrivé à hauteur de la cuisine, hésite. Alternativement, je regarde la porte de la chambre puis celle de la cuisine, la porte de la cuisine puis celle de la chambre et me dis que je ferais mieux de sortir une bière du frigo et de laisser tomber tout ce bordel mais quelque chose me dit que c’est impossible. Je sais que je dois y aller. Je sens que je le dois malgré qu’il soit plus prudent de retourner dans le salon, de remettre l’aiguille sur l’unique album de Ma Banlieue Flasque et de m’enfoncer dans le canapé terracotta pour ne plus entendre ce son…
@dem