mardi 10 janvier 2012

@dem SeleKcheûne #21 – Soft Machine


Dédiée au brelan d’as Antonin, Andreas et Arnaud.

Je sais, tout le monde à déjà glosé à propos de la Molle Machine mais je m’en fous. Je DOIS le faire…

La Révolution Internet et l’amélioration du partage de l’information qu’elle a pour meilleure conséquence, a vu l’émergence d’un nouveau type de collectionneur de vinyles, toujours aussi atteints que les précédents complètistes, mais avec ceci de particulier qu’ils jettent leur dévolu sur un genre musical dont, en digne globe-trotter des temps nouveaux, ils traquent les représentants jusqu’en des terres parfois fort reculées.

Ainsi le Rock Psychédélique dont on peut humer les sombres parfums de l’Uruguay à l’Indonésie en passant par le Nigéria. A peu près chaque pays du globe possède, parfois en mieux, son Doors, son Pink Floyd ou son… Soft Machine !

La Molle Machine fut probablement la réunion contre-nature de génies surdoués aux monstrueux égos la plus réussie jamais engendrée par la perfide Albion. Sa première mouture date de 1966 mais une proto formation était déjà active dès 1963 sous le blase des Wilde Flowers. Après avoir sorti un bon vieux 45T, nos mous lascars ne trouvent rien d’autre de mieux à faire pour passer le temps que d’accompagner Jimi Hendrix, pour lequel vous connaissez mon profond attachement, en tournée US pendant 6 mois. Ce n’est qu’en 68 que sort leur très psychédélique premier opus sobrement intitulé « The Soft Machine », réalisé en formation serrée après déjà 2 changements de personnels, par Michael Ratledge, Robert Wyatt et Kevin Ayers.

La littérature déviante et inspirée tient une place particulière dans la genèse musicale de notre Soft Machine. Le nom même du groupe est le titre d’un livre de l’inventeur du cut-up et accessoirement assassin de sa femme alors qu’ils jouaient à Guillaume Tell, William S. Burroughs (The Soft Machine – 1968). Ils firent le voyage jusqu’aux Etats-Unis pour lui demander l’autorisation de l’utiliser…

À l’instar des Doors, dont ils sont en quelque sorte le pendant européen en beaucoup mieux, Soft Machine cherche l’analogie musicale d’œuvres littéraires comme les Chants de Maldoror du Comte de Lautréamont et rêve de produire la bande son schizophrénique du pinéal Théâtre Magique du Loup Des Steppes d’Hermann Hesse. Ces tentatives de rapprochement de médiums artistiques apparemment antagonistes, de synesthésies littérato/musicales chères au À Rebours d’Huysmans, à Baudelaire, voire à Rimbaud, participeront sur le plan musical à la naissance de l‘Art Rock et du R.I.O (Rock In Opposition).

À cet égard, les C.V de l’organiste Michael Ratledge et du multi-instrumentiste Robert Wyatt sont tout à fait révélateurs. Le premier, originaire de Canterbury, s’est vu gratifié de deux mentions en psychologie et philosophie à Oxford et est parti étudier la Poésie aux Etats-Unis où, prenant la tangente, il rejoint un groupe d’avant-jazz avant de s’en retourner là-bas dans l’île. L’autre, qui fréquente la même école que le précédent, aura une formation sensiblement plus musicale accompagnée par George Neirodi et passe deux étés en compagnie du poète Robert Graves, ami de ses parents. La carrière solo de ce fabuleux personnage fera l’objet d’une @dem ultérieure.

Le laboratoire de ce Rock en Opposition sera Canterbury, ville étudiante proche de Londres, lieu de rencontre d’une jeunesse instruite bien décidée à contre-culturer tout ce qui bouge avec humour et intelligence. C’est notamment à la faveur de sa structure universitaire, attirant à elle des étudiants de toute l’Angleterre et d’ailleurs, couplée sans doute à l’énergie particulière des 60’s que cette ville va voir fleurir en son sein, et autour, un nombre ahurissant d’expériences musicales où tout et tous se mélangent.

Les murs de la Grande Muraille ne suffiraient pas à contenir l’arbre généalogique musical de Canterbury. Celui de Soft Machine, réalisé en 1977 par Peter Frame, donne cependant une petite idée de la complexité de la chose. Pour résumé, durant les dix premières années, 14 fois on a tranché les têtes de l’Hydre Mou et 15 fois elles ont repoussés !

Pour aborder la Machine Molle inutile de se couper le chou. On prend les trois premiers albums, on écoute d’abord la face B du premier, puis sa face A et les autres dans l’ordre. Ensuite on recommence. Les débuts sont d’un psychédélisme grinçant qui envoûte déjà totalement l’oreille, le troisième tout en gardant sa touche grinçante flirte brillamment avec le jazz d’un l’hypnotiseur de serpent comme Yusef Lateef. Sont également convoqués dans ces trois fusionnels albums, la musique sérielle, répétitive, une pop schizo, le rock bien sûr et le jazz des grands ensembles. J’y entends aussi du Bach...

Le plus surprenant est l’incroyable cohérence que dégagent ces trois magnifiques albums eu égard aux genres musicaux juxtaposés. Non pas un hachis Parmentier cependant, mais une sauce bolo au goût un tantinet amer…

La bande son parfaite du Théâtre Magique.

Je renonce à choisir un extrait représentatif de toutes les protubérances mélodiques engendrées par cette réunion expérimentale d’êtres hors du commun et balance donc mon aiguille au hasard de la face B du premier album.

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